Medicina & Arte

terça-feira, maio 29, 2012



Faudra-t-il prescrire une statine à tous les hommes de plus de 50 ans ?
Publié le 29/05/2012   |  1 réaction Partager sur Twitter Partager sur Facebook Imprimer l'article Envoyer à un confrère Réagir à l'article Enregistrer dans ma bibliothèque Reduire Agrandir

Cette question qui aurait semblé hors de propos,  il y a quelques années, est pourtant celle que pose l’éditorialiste du très austère Lancet en commentant la nouvelle méta-analyse prospective des Cholesterol Treatment Trialists’ (CTT).
Ce groupe intègre depuis 1994 dans un travail de méta-analyse régulièrement mis à jour, toutes les données individuelles des patients inclus dans des essais randomisés en double aveugle portant sur les traitements par statines en prévention cardiovasculaire (CV). Il avait montré dès 2005, sur les 90 056 premiers sujets inclus, qu’une baisse de 1 mmol/L du taux de LDL cholestérol (0,39 g/L) sous statines réduisait en 5 ans la fréquence des infarctus du myocarde de 23 %, celle des événements vasculaires majeurs de 21 %, celle de la mortalité coronarienne de 19 % et la mortalité globale de 12 % (toutes ces diminutions étant hautement significatives ; p<0,0001). De plus ces baisses de la morbi-mortalité CV  avaient été constatées indépendamment de l’âge, du sexe, du type d’indication (prévention primaire ou secondaire), de la présence ou de l’absence d’un diabète ou d’une hypertension et surtout quel que soit le niveau de LDL-C de départ (y compris pour des taux inférieurs à 3,5 mmol/L).

Un bénéfice significatif même pour les sujets à faible risque cardiovasculaire 

L’analyse actuelle des CTT porte sur 134 537 sujets inclus dans des essais randomisés statines contre placebo et 39 612 patients dans des essais comparant un traitement standard par statines à un traitement intensif (études SEARCH, A to Z, TNT, IDEAL et PROVE-IT) (1). L’objectif était cette fois de déterminer si l’effet sur la morbi-mortalité CV était corrélé au niveau de risque CV initial en comparant les résultats d’une baisse de 1 mmol/L de LDL-C pour 5 catégories de patients ayant une probabilité croissante d’événements vasculaires majeurs à 5 ans : inférieure à 5 %, entre 5 et 10 %, entre 10 et 20 %, entre 20 et 30 % et supérieure ou égale à 30 %. Il est apparu, qu’en valeur relative, le bénéfice des statines était au moins aussi important pour les 2 niveaux de risque les plus faibles que pour les plus élevés. Ainsi par exemple lorsque la probabilité d’événements vasculaires majeurs à 5 ans était inférieure à 5 % la réduction de ce risque pour une baisse de 1 mmol/L de LDL-C était de 38 % (intervalle de confiance [IC] entre 19 et 53 %) contre 21 % (IC entre 16 et 26 %) pour les sujets ayant un risque de plus de 30 % de souffrir d’un événement vasculaire majeur dans les 5 ans. Il faut bien sûr souligner qu’en valeur absolue, le bénéfice à attendre d’une baisse de 1 mmol/L sous statines est bien supérieur pour les niveaux de risque élevés que pour les faibles niveaux avec par exemple 6 événement vasculaires majeurs  évités pour 1 000 sujets à très faible risque (moins de 5 % sur 5 ans) traités pendant 5 ans contre 142 pour 1 000 patients à risque très élevé (supérieur à 30 % sur 5 ans). En d’autres termes, pour éviter un événement vasculaire majeur, il faut traiter 167 patients à risque inférieur à 5 % pendant 5 ans et 67 patients à risque compris entre 5 et 10 %.
Sur le plan de la tolérance des statines, cette nouvelle méta-analyse confirme l’absence de risque carcinologique (risque relatif de cancer de 1 avec un IC entre 0,96 et 1,04), la rareté des myopathies (augmentation de l’incidence de 0,5/1 000 sur 5 ans), le faible accroissement du risque d’AVC hémorragique (+ 0,5/1 000 sur 5 ans) très inférieur à la baisse du risque d’AVC ischémique et évalue le risque supplémentaire de diabète sous statines en prévention primaire à 0,1 % par an (ce qui induirait une augmentation de la fréquence des événements vasculaires majeurs 50 fois plus faible [ + 0,2/1 000 patients traités sur 5 ans] que le bénéfice attendu [- 11/1000] chez des sujets à risque inférieur à 10 % à 5 ans).

Traiter les hommes au-delà de 50 ans sans bilan complet ?

A partir de ces données d’efficacité et de tolérance, les auteurs comme l’éditorialiste (2) posent la question de l’extension des indications des traitements par statines. Actuellement pour la plupart des recommandations, il n’y a pas d’indications à un traitement par statines chez les sujets ayant un risque d’événement vasculaire majeur à 5 ans inférieur à 10 %. Or selon l’éditorialiste, le bénéfice à attendre d’une baisse de 1 mmol/L du LDL-C chez ce type de sujets est équivalent à ce que l’on obtient en traitant une hypertension légère, ce que tous les praticiens s’accordent à faire.
Si une telle décision d’abaissement du seuil d’intervention était prise, elle aurait des conséquences importantes en termes de santé publique et d’économie de la santé. En effet, dans un pays développé comme la Grande Bretagne on estime que 83 % des hommes de plus de 50 ans et 56 % des femmes de plus de 60 ans ont un niveau de risque vasculaire supérieur à 10 % à 5 ans.
Au-delà de la question de l’élargissement des indications des statines à la majorité de la population de plus de 50 ans (qui pourrait être économiquement supportable grâce aux génériques), l’éditorialiste va encore plus loin et se pose celle de l’intérêt de se baser sur des bilans complexes et coûteux pour décider d’une prescription de statines qu’il serait peut-être plus pragmatique de fonder uniquement sur l’âge et le sexe ! Un tel algorithme simplissime permettrait selon lui des économies substantielles portant notamment sur l’imagerie vasculaire ce qui serait spécialement utile dans les pays à faibles revenus. 
Il reste qu’en pratique, quelles que soient les raisons théoriques d’élargir les indications des statines et l’attitude qu’adopteront les Sociétés savantes dans un avenir proche, de très nombreux patients qui justifieraient une prescription de statines selon les critères actuels n’en bénéficient pas encore (même parmi les sujets à risque élevé) et que l’observance de ces traitements demeure faible (25 % à deux ans en prévention primaire selon une étude par exemple).
Dans l’attente d’un éventuel changement d’indications, les efforts sont donc à porter sur un meilleur suivi des recommandations actuelles et une amélioration de l’observance des patients.  


Dr Anastasia Roublev

1) Cholesterol Treatment Trialists’ (CTT): The effects of lowering LDL cholesterol with statin therapy in people at low risk of vascular disease: meta-analysis of individual data from 27 randomised trials. Lancet 2012, Publication avancée en ligne le 17 mai (doi:10.1016/S0140-6736(12)60367-5).
2) Ebrahim Shah et coll.: Statins for all by the age of 50 years?
Lancet 2012, Publication avancée en ligne le 17 mai (doi:10.1016/S0140-6736(12)60694-1).